Lors de la dernière assemblée générale du Groupe Crédit Mutuel vendredi dernier, son nouveau président Daniel Baal, nommé il y un mois, n’a pas eu de mots assez forts pour critiquer les nouvelles règles prudentielles du Comité de Bâle.« Une réforme qui a, sur le fond, de bonnes intentions, mais qui conduira malheureusement à un affaiblissement général des banques européennes ».
Le banquier français craint que les superviseurs ne tarissent les ressources des prêteurs pour financer les entreprises et les particuliers en limitant leurs deux sources principales de financement, leurs fonds propres et les dépôts de leurs clients.
Ce qui aurait deux conséquences pour les candidats à l’emprunt : moins d’argent à prêter à chaque emprunteur, moins d’emprunteurs à qui prêter de l’argent.
La « bonne intention » du Comité de Bâle est la suivante :
- Limiter le risque lié au crédit ;
- Limiter le risque d’insolvabilité des emprunteurs ;
- Limiter le risque d’insolvabilité des prêteurs.
En d’autres termes : limiter la capacité d’emprunter, ainsi que la capacité de prêter.
Et pour ce faire, limiter aussi la capacité du prêteur d’évaluer lui-même le risque d’un emprunteur en standardisant les critères d’octroi d’un prêt.
Ce qui nous rappelle l’esprit des normes HCSF pour encadrer la distribution des prêts immobiliers en France : nos propres limitations de durée et d’endettement depuis deux ans, indépendamment de l’évaluation par le banquier de la demande de son client.
Le HCSF a réduit les montants prêtés en limitant la capacité des emprunteurs ; Bâle IV veut réduire encore les montants prêtés en limitant cette fois la capacité des prêteurs.
Le Comité de Bâle, officiellement connu sous le nom de Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (BCBS), est un forum international créé il y a 50 ans, en 1974.
Il regroupe les gouverneurs des banques centrales, ainsi que les autorités de surveillance bancaire des diverses nations participantes.
La mission principale du Comité de Bâle est de renforcer la régulation, la supervision et les pratiques des banques dans le monde entier afin d’améliorer la stabilité financière globale : Bâle vise à assurer une gestion saine des risques bancaires et une solvabilité robuste des institutions financières.
Actuellement nous sommes sous Bâle III, dont les principes ont été publiés en 2010 suite à la crise financière de 2008 ; nous serons sous Bâle IV à partir du 1er janvier 2025, avec une phase de transition s’étalant jusqu’en 2030.
Le point capital pour les futurs emprunteurs est le suivant : les accords de Bâle définissent et imposent aux banques des exigences minimales de fonds propres pour couvrir les risques encourus par leur activité de financement.
Ce qui changera sous Bâle IV par rapport à Bâle III, c’est le renforcement de ces exigences de fonds propres pour les prêteurs : les banques devront encore augmenter leurs fonds propres pour se conformer aux nouvelles exigences, ce qui aura un impact sur leur rentabilité et sur leur capacité à prêter.
Les exigences de fonds propres des banques sont en effet directement liées à leur capacité à prêter de l’argent. Pour pouvoir prêter, les banques doivent détenir un certain niveau de fonds propres, qui sont des réserves financières constituées de capitaux propres et de bénéfices non distribués.
Les fonds propres requis sont proportionnels aux risques représentés par le montant et la nature des prêts demandés. Le niveau de risque du crédit bancaire détermine le montant minimum de capital que la banque devra conserver dans ses comptes pour couvrir le risque associé : il s’agit de pondérer le risque d’un crédit, ou de minimiser le risque d’un crédit à proportion du risque financier que le non remboursement du prêt ferait courir à la banque.
Un risque plus important sera donc soumis à une pondération supérieure, ce qui est le cas d’un crédit immobilier.
Rappelons le point essentiel des accords de Bâle : pour chaque montant de prêt accordé, le prêteur doit conserver un montant de fonds propres en réserve.
Ce montant est proportionnel au montant du prêt ; une proportion qui dépend aussi du type de prêt.
Chaque type de prêt représente un risque ; chaque niveau de risque implique un niveau différent de vigilance.
Protéger les prêteurs c’est protéger les emprunteurs ; protéger les emprunteurs, c’est protéger les prêteurs.
Le niveau de fonds propres exigé est variable en effet selon le type de prêt demandé : un prêt estimé moins risqué nécessitera moins de fonds propres. Les prêts immobiliers étant plus risqués que les prêts à la consommation par exemple, la banque devra conserver davantage de fonds propres en réserve pour accorder les premiers que pour accorder les seconds.
D’une part parce que les montants sont plus volumineux, aussi parce que les durées sont plus longues. La probabilité que la situation financière des emprunteurs change étant plus forte sur 20 ans que sur un an, le risque de non-remboursement est plus fort également : probablement plus de défauts de paiement sur des volumes empruntés plus importants.
Les fonds propres agissent comme un coussin financier qui permet aux banques d’absorber les pertes potentielles résultant de prêts non remboursés – sans compter le risque de dépréciation entre-temps des biens immobiliers financés… En cas de défaut de paiement par un grand nombre d’emprunteurs, les fonds propres permettent de couvrir les pertes sans mettre en péril la solvabilité des banques.
En disposant de fonds propres suffisants, une banque peut continuer à fonctionner même en période de crise financière. Cela réduit le risque de faillite, protège les déposants et maintient la confiance dans le système bancaire ; n’oublions pas que la crise des « subprimes » fut une crise hypothécaire.
Depuis Bâle I, Bâle II et particulièrement Bâle III en 2010, après le choc de la crise financière, ont durci ce ratio pour renforcer la résilience du système bancaire. Bâle IV le fortifiera encore en 2025.
En d’autres termes, les seuils minimaux de fonds propres pour garantir les prêts distribués vont être rehaussés. Et l’augmentation sera significative : hausse de plus de 20 % des fonds propres requis pour les banques françaises, soit environ 70 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires ; environ 350 milliards d’euros pour l’ensemble des banques européennes !
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces 70 milliards ne financeront plus l’Économie française : les projets des particuliers, les investissements des entreprises, les besoins des associations non plus, ni les grands dessins publics, telle la rénovation énergétique du parc immobilier ancien ou le programme de construction de logements neufs dont la France a cruellement besoin…
Bâle IV réduira tout simplement les capacités de financement de l’Économie.
Tous ces milliards seront immobilisés dans les banques. Sans gains pour les emprunteurs, sans gains pour les prêteurs non plus.
C’est un gros et puissant levier en moins pour l’Économie, en général, et pour l’immobilier, en particulier.
Bâle IV va particulièrement rehausser le ratio de capitaux propres pour pondérer le risque lié à l’octroi d’un prêt immobilier.
Ce qui signifie que pour un même montant de prêt immobilier, le niveau de fonds propres exigé sera relevé. Ou pour le dire autrement : pour un même niveau de fonds propres, le montant de prêt immobilier sera réduit.
Moins elle a de fonds propres à mobiliser, plus une banque peut prêter. Plus les exigences de fonds propres sont élevées, plus les banques doivent immobiliser de capital pour couvrir les risques.
Cela réduit la quantité de fonds disponibles pour accorder de nouveaux prêts.
Et c’est là que le bât blesse pour les particuliers qui emprunteront l’année prochaine, d’autant que ce durcissement tombe mal. Les restrictions n’ont pas manqué ces deux dernières années, entre celles de la Banque Centrale Européenne, via la hausse continue de ses taux directeurs, celles de la Banque de France, via les règles prudentielles du HCSF, celles des banques elles-mêmes qui dans ce contexte ont durci leurs propres critères, en demandant notamment plus d’apport et plus d’épargne pour obtenir un prêt.
L’accès au crédit immobilier était déjà plus restreint que jamais : en deux ans, la production de crédits immobiliers a chuté de 70 % ! Beaucoup de prêts ont été refusés, beaucoup de ménages n’ont même pas osé demander un prêt.
Quant à ceux qui ont pu acheter, soit ils n’ont pas emprunté (deux fois plus de paiements comptant en 2023, soit 200,000 contre 100,000 en 2022), soit ils ont augmenté leur apport personnel pour emprunter moins.
Ce sont les chiffres publiés par la Banque de France elle-même en ce mois de mai 2024 : – 70 % par rapport à mai 2022, sous le régime moins contraignant de Bâle III, alors que la capacité de prêter des banques, plus réduite qu’auparavant, était meilleure qu’elle ne le sera l’an prochain…sauf baisse importante des prix, ce qui est probablement l’objectif.
Une baisse brutale des prix aussi improbable, qu’une baisse brutale des taux. Et plus improbable encore : les deux baisses à la fois ! Ce qui se produirait plus probablement est le phénomène suivant : moins d’emprunteurs, qui empruntent moins. D’ailleurs moins d’emprunteurs qui en auront même les moyens !
Car si les banques demandent moins d’apport personnel depuis janvier 2024, elles en demanderont plus à partir de janvier 2025. L’exigence accrue de fonds propres pour prêter s’accompagnera d’une exigence accrue d’apport personnel pour emprunter. Telle sera donc la première conséquence de Bâle IV : une sélectivité accrue des candidats à l’emprunt.
Il faut bien comprendre que plus un prêt est risqué, plus l’exigence de fonds propres sera élevée pour compenser le risque supérieur représenté par l’emprunteur. Pour minimiser les exigences en fonds propres, les banques devront donc se montrer plus sélectives, privilégiant les emprunteurs présentant un profil de risque plus faible.
Sans compter sur un autre effet potentiel : pour compenser l’immobilisation de leurs fonds propres, les banques seront tentées d’augmenter leurs taux d’intérêt sur les prêts immobiliers, rendant le crédit plus coûteux pour les emprunteurs, bien que les conditions de marché leur eussent permis de les baisser.
Les banques répercuteront la hausse de leurs coûts sur les emprunteurs en rehaussant leurs taux d’intérêts : le fameux 3 % que des prévisionnistes annoncent pour fin 2024, d’autres pour début 2025, est une perspective de taux hautement menacée par Bâle IV…
Sous Bâle IV il coûtera plus cher d’emprunter moins, plus cher de prêter moins ; moins valable d’emprunter, moins rentable de prêter. Surtout l’accès au prêt immobilier sera plus exclusif, autrement dit moins inclusif, au désavantage des foyers modestes et des primo-accédants, les clients les moins sûrs pour les banques, sans oublier les investisseurs particuliers, déjà massivement écartés du marché immobilier par le ratio limite d’endettement (35 % des revenus tous crédits inclus).
Ainsi, la reprise pourrait être gravement gâchée, pour peu que Bâle IV se concrétise, alors qu’au même moment divers signaux d’un redémarrage du marché immobilier privé commencent à poindre et que le Gouvernement veut relancer la construction de logements abordables en France.