Alors que le marché immobilier a connu une forme d’attentisme au cours du premier semestre 2024, bien que timides, les premiers signes d’une fin de cycle baissier commencent à apparaître.
Un semestre globalement marqué par un faible niveau de transactions
Le marché de l’investissement immobilier a connu au cours du premier semestre 2024 une chute historique du niveau de transaction : d’après la dernière étude CBRE, ce sont 4,3 milliards d’euros qui ont été investis en immobilier d’entreprise au cours du premier semestre, contre 10 milliards d’euros par semestre en moyenne décennale, soit une chute de 60 % des volumes.
En Ile-de-France la chute est encore plus impressionnante avec moins de 2 Mds de transactions sur le semestre contre 8 Mds les années d’avant crise. Au sein de cette classe d’actifs, c’est bien le bureau et le commerce qui continuent de tirer les volumes vers le bas.
Des primes de risque reconstituées
Les primes de risque sur l’immobilier sont globalement en train de se reconstituer, avec une OAT qui avoisine les 3 % mi-juillet, le marché pourrait être au bout de sa période de repricing.
Les taux de capitalisation se sont bien appréciés, toutefois force est de constater qu’à ces niveaux de rendement les vendeurs refusent de transiter dans l’attente d’une future baisse des taux et donc des taux de rendement.
Côté résidentiel, les investisseurs institutionnels sont aux abonnés absents : avec 625 millions EUR de transactions sur la période du premier trimestre, le Marché retrouve ses niveaux historiques et pourrait s’approcher de la moyenne historique autour des 3,5 Mds d’investissement par an, très loin des années post-COVID où ces montants dépassaient les 6 Mds d’euros.
La classe d’actif perçue comme la plus résiliente durant la pandémie n’attire plus les investisseurs compte tenu de l’attractivité des obligations d’état.
Du côté des prix, l’immobilier résidentiel pourrait avoir son point bas en témoigne la dynamique du dernier baromètre Seloger /Meilleursagents. Les prix se sont appréciés de 0,5 % au cours du premier semestre et Paris serait en phase de stabilisation sur le dernier mois après une baisse de 2.20 % depuis le début de l’année.
Une dynamique positive pour la logistique et l’hôtellerie
Pour la logistique et les locaux d’activité la dynamique sur le semestre a été relativement bonne avec une hausse des transactions de 27 % par rapport à l’an dernier et une baisse de “seulement” 30 % par rapport à la moyenne décennale, le marché comptabilise pour près de 1,5 Mds de transactions au cours de la période.
L’hôtellerie, pour sa part, continue d’attirer les investisseurs avec 1 Md investis au cours du premier trimestre, soit un doublement par rapport à la moyenne décennale et une hausse de plus de 50 % par rapport au premier trimestre 2023.
Des signes positif côté macroéconomie qui marque la fin du cycle baissier entamé il y’a 30 mois
Le marché français a réagi, comme souvent, avec plus de mesure que ses voisins européens dans l’ajustement des valeurs. Ce phénomène qui atténue la violence du retournement de cycle devrait logiquement également ralentir la reprise annoncée par une inflation qui commence à être maîtrisée et un début de baisse des taux directeurs.
Dans l’hexagone, les chiffres de l’inflation sont globalement encourageants puisqu’elle atteint 2,4 % en avril, contre 2,6 % pour la zone euro, principalement due à une hausse significative des prix dans le secteur des services (+4,1 % en avril).
Dans cette dynamique, la BCE a entamé une timide baisse de ses taux directeurs (- 25 points de base) le 6 juin. Cette première bonne nouvelle depuis longtemps n’aura pas fait long feu puisqu’elle a été balayée en quelques jours par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale et les craintes liées à une instabilité politique.
Dans la foulée de l’annonce de la baisse des taux directeurs, les taux courts (reflétant le coût de financement des banques) ont légèrement baissé, impactant positivement, bien que marginalement, le coût des emprunts immobiliers.
Du côté des taux à long terme, l’OAT française s’est envolée de plus de 10 % atteignant un pic à 3,30 % au lendemain du premier tour des législatives, renforçant le “spread” (i.e la prime de risque calculée comme l’écart avec le taux des obligations d’Etat allemandes considérées comme les actifs les moins risquées) avant de redescendre autour des 3 %, soit son niveau pré-annonce de la dissolution à la mi-juillet.
Les chiffres du premier semestre témoignent d’une spécificité du marché immobilier français en période de crise. Un marché qui réagit par l’ajustement des prix, mais dans une proportion mesurée, puis par l’arrêt des transactions.
Les planètes doivent s’aligner pour que les investisseurs renforcent leurs allocations en vue d’une franche reprise
D’un côté, les conditions intimement liées à la reprise de confiance des investisseurs dans le Marché sont un préalable.
Sur le volet macroéconomique, une inflation définitivement maîtrisée en zone euro permettant de confirmer et poursuivre la politique de baisse des taux de la BCE et dans la foulée la baisse des rendements immobiliers. Le consensus des économistes mise sur une baisse de 0,50 points complémentaires en 2025, laquelle n’a été ni infirmée, ni confirmée, par Christine Lagarde suite à la dernière réunion des gouverneurs de la BCE.
Une issue à la crise politique actuelle : les investisseurs scrutant le taux des obligations françaises et craignent une attaque de la dette française ou une envolée des primes de risque en cas d’incertitude politique.
La nomination d’un gouvernement en capacité d’effectivement gouverner et de faire voter le budget en septembre. Une échéance particulièrement attendue par les investisseurs.
De l’autre, des facteurs liés à la libération de liquidité permettant aux investisseurs et financeurs de se repositionner sur le Marché.
Les véhicules grand public ont connu une forte décollecte sous un double effet : d’un côté les demandes de retrait des particuliers qui rend nécessaire les arbitrages en vue de créer de la liquidité, si cette liquidité est assurée dans certains cas par les assureurs vie, cela n’est pas sans conséquence puisque ces derniers se retrouvent de fait sur-exposer en Immobilier.
Les assureurs comme les véhicules grand public de type SCPI, SC/UC ou OPCI ne devraient pas revenir sur le Marché avant d’avoir géré les demandes de liquidité des souscripteurs et assurés.
Selon l’ASPIM (Association française des Sociétés de Placements Immobilier), la valeur des parts en attente de retrait au T1 s’élève à près de 2,4 Mds d’euros.
La reprise de la production de crédit bancaire devrait faciliter les transactions. Tout comme dans le point précédent, cela ne sera possible qu’après une période d’allègement des bilans des banques françaises en Immobilier.
Désormais, la célérité de la reprise dépendra de la rapidité de la baisse des taux de la BCE et de la capacité de la nouvelle Assemblée nationale à rassurer, ou tout du moins, à ne pas effrayer les marchés et nos créanciers, ceci pour éviter de compenser la baisse des taux directeurs par une hausse des primes de risque sur le marché français.
Perspectives et opportunités pour 2024
Malgré la volatilité et l’incertitude du Marché, quatre opportunités et tendances se dessinent :
1. Nous passons d’un marché à la main des vendeurs pendant plus de 10 ans à un marché d’acquéreurs, la fenêtre semble idéale malgré les incertitudes pour procéder à des acquisitions bénéficiant d’importantes décotes d’illiquidité ;
2. L’assèchement des financements prenant la forme d’un credit crunch qui ne porte pas son nom sur le marché immobilier pousse mécaniquement cette demande vers les prêteurs alternatifs comme les fonds de dette privée et les plateformes de financement participatif ;
3. Une réglementation qui force la décarbonation du parc immobilier français et engendre des besoins en financement considérables pour transformer le parc immobilier (loi Climat Énergie, décret tertiaire, loi ZAN), alors même que la liquidité se fait rare et chère ;
4. Un potentiel de création de valeur par la transformation des actifs obsolètes ou non viables financièrement (changement d’usage et repositionnement d’actifs).
L’hôtellerie de centre-ville : un actif de plus en plus rare
Bien que les chiffres opérationnels des hôtels aient rattrapé leur niveau pre-COVID, les actifs biens situés disposant à la fois des murs et du fonds de commerce représentent les actifs les plus résilients, permettant notamment d’absorber une potentielle reprise de l’inflation en répercutant cette dernière sur les prix, qui bénéficieront d’un effet de rareté croissant au cours des prochaines années.
Ce phénomène devrait être accepté par les difficultés d’obtention d’autorisations administratives limitant le développement de nouveaux actifs en cœur de métropoles.
Enfin, la progressive reprise du trafic aérien, et particulièrement des liaisons avec l’Asie, pourrait compenser le contrecoup post J.O ; actuellement, ces liaisons sont en baisse de plus de 22 % par rapport à leur niveau d’avant crise.
L’étude “investor survey 2024” produite par CBRE nous apprend que les intentions d’investissement dans l’hôtellerie ont triplé entre 2023 et 2024 chez les investisseurs institutionnels. Ces éléments sont de nature à renforcer dans un délai proche la liquidité de ces actifs.
Saisie d’opportunités dans un environnement de raréfaction des sources de financement via la dette privée
D’après CBRE plus de 60 % des prêteurs s’attendent à une forte hausse de leur niveau d’activité, tout en rendant plus contraignante pour 67 % d’entre eux les modalités de sélection des projets.
Cette demande de liquidité permet d’entrer dans des opérations immobilières avec un risque moindre puisque les prêts représenteront jusqu’à 50 à 65 % de la valeur du bien pour les prêts hypothécaires dit de premier rang et entre 65 % et 80 % pour les financements mezzanine disposant de garanties de second rang.
Cette stratégie permet de cibler des taux de rendement de 9 % à 12 % tout en bénéficiant de sûretés réelles et sur des durées relativement courtes allant de quelques mois pour les bridges jusqu’à 36 ou 48 mois pour les opérations de restructuration lourde.
En conclusion, le premier semestre de 2024 nous laisse entrevoir des signes de stabilité à venir, ces derniers restant conditionnés à la stabilité politique et à la baisse continue des taux de la BCE.
Bien que les années 2021 et 2022 aient été marquées par l’euphorie, 2024 pourrait bien être, malgré le sentiment général, l’année des opportunités pour les investisseurs avisés disposant de liquidités pour faire leur retour sur le marché immobilier.